Les anarchistes français et la guerre d’Espagne

Dans les années 30, l’anarchisme espagnol fascine la plupart des militants libertaires français. Son poids dans la société, la solidité et l’importance de sa base populaire et son implantation – sans nulle autre pareille en Europe – dans le monde ouvrier et paysan font rêver plus d’un anarchiste français. Dès lors qu’éclatent la guerre et la révolution sociale espagnoles, les milieux libertaires de l’Hexagone répondent présents à la solidarité.
Les volontaires anarchistes pour le front antifasciste espagnol
Dès
qu’éclate la guerre civile, en juillet 1936, quelques centaines
d’anarchistes français – mais aussi italiens et polonais – traversent la
frontière franco-espagnole via Bourg-Madame et Cerbère pour soutenir le
peuple espagnol en lutte contre les militaires franquistes. Sur place,
ils intègrent principalement la colonne Durruti (ce sera notamment le
cas, pendant un court laps de temps, de Simone Weil), la colonne Ortiz,
la colonne Tierra y libertad et la colonne Ascaso. Dans chaque colonne,
un groupe international est créé pour rassembler tous les miliciens
venus de l’étranger.
Dans la colonne Durruti, une partie du groupe
international – qui ne comptait pas moins de 400 miliciens – forme, en
septembre 1936, la colonne Sébastien Faure, dans laquelle on retrouve
des anarchistes français comme Louis Mercier et Charles Ridel. Bien
qu’ayant pris le nom de « colonne », la colonne Sébastien Faure reste,
en réalité, attachée à la colonne Durruti comme centurie.
Dans la
foulée, un comité des milices antifascistes est fondé à Perpignan pour
organiser les départs de miliciens français pour l’Espagne. Mais, en
1937, en raison du pacte international de non-intervention, le
gouvernement français interdit l’envoi de miliciens en Espagne. Bien que
cette mesure s’applique avant tout aux Brigades internationales dont le
recrutement communiste était bien rodé, elle n’en affecte pas moins
l’élan de solidarité anarchiste des premiers mois du conflit. Pour
autant, des libertaires français continueront à se rendre en Espagne en
passant la frontière clandestinement.
Les sections françaises en terre espagnole
Dès
juillet 1936, une section française de la CNT se créée à Barcelone sous
l’impulsion du comité régional de la CNT. Ses militants se rendent au
front, mais effectuent aussi un indispensable travail de solidarité à
l’arrière. Outre soigner les blessés, accueillir et coordonner les
miliciens francophones, ils participent à des initiatives culturelles,
notamment à la construction de bibliothèques. Mais, surtout, ils sont
les principaux intermédiaires dont dispose le mouvement anarchiste
espagnol pour informer le monde francophone de son activité et y
diffuser sa propagande, notamment par le biais de la version française
du Boletin de informacion de la CNT et à travers l’animation
d’émissions en français sur Radio Barcelone CNT-FAI (dont les ondes
portaient jusqu’à la frontière de l’Hexagone). Malheureusement, les
querelles qui déchirent alors le mouvement anarchiste français (sur
lesquelles nous reviendrons plus loin) se reproduisent au sein de la
section, fragilisant considérablement son activité et entravant son bon
fonctionnement. En outre, en 1937, la CNT ne peut plus lui accorder de
subventions et l’oblige même à trouver ses propres locaux (auparavant,
la section siégeait dans ceux du comité régional de la CNT). Déchirée,
sans grands moyens financiers et bientôt attaquée par le gouvernement
qui veut neutraliser un maximum tout ce qui est mis en œuvre par le
mouvement libertaire, la section française de Barcelone disparaît en mai
1937.
Une autre section française existait aussi en Espagne, à
Puigcerda. Créée peu après les événements de juillet 1936, son activité
était principalement tournée – comme pour son homologue barcelonais –
vers la diffusion, au sein du monde francophone, de l’activité et de la
propagande du mouvement anarchiste espagnol. Toutefois, elle s’est
essentiellement illustrée dans l’organisation de l’accueil des centaines
de réfugiés qui, en 1937, fuient la ville et les alentours de Malaga,
alors attaquée et prise par les franquistes.
Les anarchistes français face à la contre-révolution communiste
À
partir de 1937, les conflits internes au mouvement antifasciste se font
plus intenses. Ils opposent la CNT, la FAI et le Poum – qui veulent
combattre le fascisme et faire la révolution sociale – aux communistes
(PCE, PSUC) et aux nationalistes catalans qui ne souhaitent pas voir
l’avènement d’une révolution libertaire qui liquiderait leurs velléités
autoritaires.
En mai 1937, les tensions montent d’un cran : les
communistes attaquent la Téléfonica de Barcelone où siège la CNT.
L’assaut ne se fait pas sans résistance et prend la forme d’une petite
guerre civile, avec son lot de morts et de blessés. Mais mieux armés
(grâce au soutien de Moscou), les communistes finissent par mater les
anarchistes. Dans la foulée, nombre de militants sont arrêtés et jetés
en prison au cours d’une véritable campagne de répression. Les
anarchistes français qui, à cette date, combattent encore aux côtés de
leurs camarades espagnols n’y échappent pas et certains d’entre eux sont
enfermés dans les geôles de la République, aux côtés des fascistes…
Pour eux, l’incompréhension est totale : partis combattre les
franquistes, ils se retrouvent enfermés à leurs côtés.
C’est dans ce
climat de répression générale anti-anarchiste que la section française
de Puigcerda disparaît, le gouvernement – alors inféodé au Parti
communiste – ayant ordonné sa dissolution et emprisonné certains de ses
militants.
Fernand Frotin, alors secrétaire de la section française
de la CNT, s’efforce de faire sortir de prison ses camarades français et
de leur apporter une aide matérielle par l’envoi de nourriture, de
cigarettes, de savons, de stylos, de papiers et même de journaux. Il
tient aussi avec eux une correspondance régulière qui leur permet de
garder le moral et un semblant de contact avec l’extérieur. Certains
parviendront à être libérés ou s’évaderont, mais d’autres y trouveront
aussi la mort.
Ainsi, dès les premiers coups de feu en 1936, des
anarchistes français se rendent en Espagne pour combattre le fascisme
aux côtés de leurs camarades espagnols. Mais ceux qui vont durablement
rester en Espagne demeurent peu nombreux. Beaucoup de militants restent
en France pour organiser la solidarité, propager la propagande destinée à
l’internationale des anarchistes espagnols, mais aussi pour poursuivre
les luttes politiques et sociales de leur pays. Et c’est d’ailleurs ce
que demandent la CNT et la FAI qui préfèrent voir les militants
internationaux développer une réelle solidarité internationale plutôt
que de voir débarquer en Espagne des miliciens qui ne savent ou ne
veulent pas manier un fusil (bon nombre d’anarchistes français étaient
alors des pacifistes convaincus). D’autant que les miliciens
antifascistes espagnols ont aussi, et surtout, besoin d’être
régulièrement ravitaillés en médicaments, vêtements, nourritures, armes
et munitions. Pour répondre à ces besoins de première nécessité, les
anarchistes français vont mettre en place plusieurs organisations de
solidarité, notamment autour des trois principaux piliers du mouvement
en France : l’Union anarchiste (UA), la Fédération anarchiste de langue
française (FAF) et la CGT-syndicaliste révolutionnaire (CGT-SR).
L’organisation de la solidarité anarchiste en France
Dès
les débuts de la guerre, la CNT et la FAI demandent vivement à ce que
les trois principales organisations anarchistes françaises – l’UA, la
FAF et la CGT-SR – s’unissent pour organiser un soutien efficace et
indispensable au maintien de la lutte antifasciste et au développement
de la révolution sociale en cours.
Devant les appels incessants des
organisations espagnoles, les trois piliers de l’anarchisme français
enterrent leurs querelles idéologiques intestines et se rassemblent au
sein d’une organisation d’aide à l’Espagne antifasciste : le Comité
anarcho-syndicaliste pour la défense et la libération du prolétariat
espagnol (CASDLPE), dont le secrétaire général n’est autre que Pierre
Besnard.
Le CASDLPE se donne deux principaux objectifs : créer des
comités anarcho-syndicalistes un peu partout en France afin d’y
développer un véritable réseau de solidarité avec l’Espagne antifasciste
; et créer un journal pour diffuser en France l’activité et la lutte du
mouvement anarchiste en Espagne. Ce dernier voit le jour en août 1936
sous le titre de L’Espagne antifasciste (CNT-FAI-AIT). Il
parait jusqu’en janvier 1937 et publie, en tout, une trentaine de
numéros. Il s’agit alors du principal organe anarchiste d’information
francophone sur la guerre d’Espagne.
Rapidement, des comités
anarcho-syndicalistes sont créés – parfois sur la base de groupes
anarchistes existants – à Paris, Perpignan, Marseille, Saint-Étienne,
Bayonne, Toulon, etc. Chaque comité organise, dans sa localité, des
récoltes de fonds par le biais de souscriptions et de quêtes dans les
usines et dans les rues. Les fruits des récoltes sont ensuite envoyés au
comité de Paris, chargé de les centraliser et de les envoyer à
Perpignan d’où ils partent, en camions, pour l’Espagne. Les comités
organisent également bon nombre de réunions publiques pour discuter de
la question espagnole, souvent avec plusieurs milliers de personnes.
En
novembre 1936, le CASDLPE se lie avec une organisation belge similaire
pour fonder l’Union fédérative des comités anarcho-syndicalistes
franco-belges. L’organisation a alors déjà installé plus d’une vingtaine
de centres de ravitaillement en France.
Mais, entre temps, les
divergences et les déchirements ressurgissent au sein du CASDLPE. L’UA
souhaite en effet, en accord avec la CNT et la FAI, élargir
l’organisation de solidarité à toute la gauche révolutionnaire française
(excepté les staliniens), anarchiste ou pas. Dans cette optique, elle
organise, le 23 octobre 1936, un rassemblement gigantesque au Vel d’Hiv
(plus de 15 000 personnes) auquel elle invite la CNT-FAI, mais aussi la
Généralité (administration autonome de la Catalogne), le Poum et la
SFIO.
La FAF, ouvertement contre toute union avec les réformistes et
les autoritaires, s’indigne et refuse l’idée de cet élargissement
contre-nature. La CGT-SR, elle, proche de la FAF, s’oppose aussi à un
tel rassemblement, d’autant que la SFIO y est représentée par Léon
Jouhaux, le social-traître responsable de la scission de la CGT. L’UA,
qui reste fermement accrochée à son projet, finit par être exclue de la
Fédération des comités anarcho-syndicalistes et fonde le Comité pour
l’Espagne libre (CEL), organisation de solidarité basée sur le principe
d’un front révolutionnaire uni, faisant fi des différends idéologiques.
Le
CEL, qui attire plus d’énergies militantes (puisqu’il ratisse plus
large…) que le Comité anarcho-syndicaliste, se développe rapidement,
créant une quarantaine de centres de ravitaillement dans toute la
France. Son action ne se limite cependant pas à ravitailler le front
antifasciste. Le CEL s’implique aussi dans la construction d’un
orphelinat à Llansa, dans l’organisation de réunions publiques et dans
la rédaction de plusieurs articles présentant l’œuvre révolutionnaire
des anarchistes espagnols et les nouvelles du front antifasciste.
Pourtant, malgré cette activité prolifique, une partie des militants de
l’UA – notamment Louis Lecoin et Nicolas Faucier – ne la juge pas encore
suffisante et, au congrès de décembre 1936, propose que le CEL
élargisse davantage son horizon politique. Ce désir permanent de fonder
une organisation idéologiquement large répond à un besoin de
contrebalancer le poids du Secours rouge internationale (SRI), une
organisation de solidarité dans les mains du Parti communiste espagnol
et de Moscou. Ainsi, lorsque la CNT espagnole prend la décision, au
plénum de Valence d’avril 1937, de créer Solidarité international
antifasciste (SIA), une organisation de solidarité internationale
idéologiquement large, l’UA – sous les demandes pressantes de la CNT
espagnole – décide de créer une branche française. En juin 1937,
Solidarité internationale antifasciste (SIA) voit le jour.
Solidarité internationale antifasciste
Conformément
à la volonté de l’UA, la SIA accueille en son sein des militants issus
de plusieurs tendances politiques : des anarchistes et des
anarcho-syndicalistes (évidemment !), des trotskystes, des communistes
antistaliniens (sans pour autant être des disciples de Trotsky), des
syndicalistes révolutionnaires et des partisans de l’aile gauche de la
SFIO. Cette stratégie, bien qu’éminemment critiquée par la FAF et la
CGT-SR, est largement soutenue par la CNT et la FAI qui, en plus d’être
partisanes de la constitution d’un large front antifasciste et
antistalinien, en ont assez des critiques incessantes prononcées par la
FAF et la CGT-SR à leur encontre (nous reviendrons dessus plus loin).
La
SIA s’impose rapidement dans le paysage politique français et, en 1938,
elle compte plus de 45 000 adhérents répartis en 350 sections en
France.
L’action de la SIA est semblable à celle du CASDLPE et du CEL
: récolter des fonds (plus de 100 000 francs par mois selon Louis
Lecoin) pour envoyer en Espagne des convois remplis de vêtements, de
médicaments, de nourriture et, parfois, de munitions et d’armes. Dotée
de moyens bien supérieurs à ceux du CEL, la SIA reprend et s’occupe
aussi de l’orphelinat de Llansa.
Extrêmement active et prolifique en
France, la SIA déploie aussi son activité en terre espagnole où elle
ouvre et gère des hôpitaux, des centres de soins, des hébergements et
des cantines pour répondre aux besoins des miliciens du front et des
populations civiles de l’arrière.
Pour relayer ces activités et pour
appeler aux dons et aux souscriptions, la SIA se dote d’un hebdomadaire,
très originalement intitulé SIA.
Organisation internationale, la SIA
ne tarde pas à s’implanter dans plusieurs pays, notamment aux
États-Unis sous l’impulsion du célèbre anarcho-syndicaliste Rudolf
Rocker, et en Angleterre avec l’anarchiste Emma Goldman. D’autres
branches apparaissent aussi, en 1937, en Afrique du Nord, en Suède et au
Portugal. Mais c’est surtout en 1938 que l’organisation va solidement
s’implanter à l’international en créant des sections en Chine, au Japon,
en Uruguay, au Chili, au Mexique, en Argentine, en Australie, aux
Pays-Bas, en Palestine et au Canada.
À partir de la fin du mois de
janvier 1939, c’est la Retirada. Des centaines de milliers de civils, de
miliciens et de militaires espagnols s’exilent en France pour fuir la
victoire franquiste et sa terrible répression. La réponse du
gouvernement français – qui se targue pourtant d’être un « pays
d’asile », une « terre d’accueil » – est des plus austère : il envoie
les femmes et les enfants dans des centres d’hébergement dans le centre
de la France, et enferme les hommes dans des camps de concentration,
principalement situés aux abords de la frontière et en Afrique du Nord.
Avec
la fin de la guerre et l’ampleur de l’exode, la SIA réorganise sa
solidarité. Comme pendant le conflit, elle organise des quêtes dans la
rue, les usines, les rassemblements politiques et les réunions
publiques. L’argent ainsi récolté est ensuite utilisé pour fournir des
vêtements et de la nourriture aux camarades internés dans les camps.
Elle
s’occupe aussi de recenser les militants pour reconstituer les familles
brisées par les séparations faites par les autorités. Elle se charge
également d’organiser la correspondance entre elles. Cette activité se
révèle particulièrement importante et permet à des milliers d’exilés
d’avoir des nouvelles de leurs proches, élément indispensable pour
garder un minimum de moral.
Entre autocensure et critique acerbe
En
novembre 1936, quatre militants de la CNT entrent au gouvernement
espagnol, alors essentiellement composé de communistes, de socialistes
et de républicains. Peu après, ils se résignent à accepter la
militarisation des milices. Comment vont réagir, en France, les
différentes organisations anarchistes face à cette entorse aux
essentiels principes antigouvernementaliste et antimilitariste de
l’anarchisme ?
L’UA, elle, va opter pour une attitude plus que
critiquable, se refusant et interdisant, lors d’un de ses congrès, de
critiquer en public la CNT-FAI. Toute critique concernant les
organisations anarchistes espagnoles ne peut être exprimée qu’à travers
le bulletin intérieur de l’organisation. Pour autant, en son sein,
l’opinion est loin d’être unanime sur les questions de militarisation
des milices et d’entrée au gouvernement antifasciste. Les débats sont
nombreux et l’UA se permet, parfois, de critiquer les camarades
espagnols, en privé.
La FAF, en revanche, ne lésine pas sur la
critique. Ses dénonciations et ses condamnations sont nombreuses et
véhémentes. Elles prennent forme à travers les articles de son journal
Terre libre, et ont pour principal auteur André Prudhommeaux. Dénonçant
la trahison de la base de la CNT par ses leaders, la FAF critique aussi
la stratégie frontiste de l’UA en lui reprochant de travailler main dans
la main avec des autoritaires et des réformistes. Grâce à cette
attitude plutôt légitime, l’organisation se rapproche des milieux
anarchistes espagnols qui contestent les décisions gouvernementalistes
et militaristes de la CNT : les Amis de Durruti (mini groupement
hétérogène qui pèse très peu) et une partie de la Fédération ibérique
des Jeunesses libertaires.
La CGT-SR, quant à elle, opte pour une
position qui, dans le fond, rejoint celle de la FAF mais qui, sur la
forme, est beaucoup moins acerbe. Car son secrétaire général, Pierre
Besnard, est aussi celui de l’Association internationale des
travailleurs (AIT), et il n’a guère envie de « froisser » la CNT qui,
alors, est la plus importante organisation membre de l’AIT qui, sans
elle, n’existerait presque pas. Mais au fil du temps, avec l’avancée des
franquistes et les fourvoiements gouvernementalistes de la CNT, la
CGT-SR se fait plus épineuse, plus véhémente. En décembre 1937, agacée –
et suffisamment occupée en Espagne ! –, la CNT menace alors de faire ce
que Pierre Besnard voulait à tout prix éviter : démissionner de l’AIT.
Pour l’empêcher, la CGT-SR accepte de ne plus critiquer sa sœur
espagnole (du moins en public) et Pierre Besnard est remplacé par
Horacio Martinez Prieto (fondateur du à venir Parti libertaire), membre
de la CNT. Dérive interne autoritaire ? Sans aucun doute.
Les camps de la honte
Informer encore et encore
Article extrait du Monde libertaire n°1679 (28 juin-11 juillet 2012)

Informer encore et encore du sort réservé aux républicains espagnols
réfugiés en France, après qu’ils eurent combattu, durant deux ans et
demi, les forces franquistes soutenues par les armées nazie, fasciste et
celle du dictateur portugais Salazar, c’est leur rendre hommage et
rappeler quelques vérités. Parmi ces Espagnols, nombreux étaient des
anarchistes dont l’histoire tisse le fil de la nôtre.
Nous ne pouvons exposer toutes les situations vécues dans les « camps du
mépris », mais nous pouvons évoquer les souffrances endurées dont les
traces indélébiles affectent souvent les descendants, de manière plus ou
moins profonde.
Les réfugiés espagnols, cherchant un refuge contre le franquisme, sont
entrés en France entre 1938 et 1940. En 1939, entre fin janvier et mars,
lors de la Retirada (la retraite de l’armée républicaine vaincue), ils
sont arrivés en masse : plus de 500 000 personnes, dont environ 350 000
ont séjourné dans des camps. À leurs côtés se trouvaient des
brigadistes.
L’hiver était rude ! Sous la pluie, la neige, tenaillé par la faim et la
soif, sous le feu de l’aviation franquiste, un flot humain se pressait à
travers les Pyrénées, attendant que le gouvernement français ouvre la
frontière. Celle-ci s’est entrouverte le 28 janvier 1939 pour les
enfants, les femmes et les vieillards. Le 5 février au matin, les
représentants de la Seconde République espagnole ont suivi. Le soir, les
autorités françaises permettaient aux hommes d’entrer en France.
Le pays, dépassé par cette arrivée massive, n’a pu mettre en place
rapidement la logistique nécessaire à un accueil décent. Pourtant, cet
exode était prévisible, puisque chaque conquête des franquistes
entraînait de nouveaux départs en nombre. Fin 1938, environ 45 000
Espagnols avaient été hébergés dans des colonies, dans des familles
françaises et des familles d’origine espagnole. En outre, dès 1937, les
services de l’ambassade française à Madrid avaient averti que la France
devait se préparer aux conséquences de la défaite des républicains.
Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas pris en considération cette alerte
? Pourquoi les camps militaires n’ont-ils pas été mis à disposition ?
Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas dirigé les blessés et les malades
vers les hôpitaux militaires plutôt que vers les établissements civils,
moins bien équipés ? Pourquoi certains – des milliers – n’ont-ils même
pas été soignés, comme le père de Serge Utgé-Royo, soldat dans l’armée
républicaine, issu de la colonne Durutti, au haut du poumon transpercé
par une balle. Il en gardera des séquelles. Ainsi a-t-il séjourné
d’abord à Mont-Louis, sans soins, dormant à même le sol, dans un pré
enneigé. Le souvenir de ce froid glacial restera gravé dans sa mémoire.
Comme ses compagnons, il n’avait rien, ou pas grand-chose, pour s’en
protéger.
Une telle tragédie s’explique par le contexte international, la
situation spécifique de la France et les stratégies adoptées par le
gouvernement.
Rappelons que durant la guerre d’Espagne, Léon Blum optait pour ce qu’il
appelait une « non-intervention relâchée ». Il fermait les yeux sur
quelques livraisons d’armes françaises, léger manquement à l’embargo
auquel la France s’était engagée, avec nombre d’États. Bien que ses
convictions le portaient à soutenir les républicains espagnols, sa peur
d’une montée de l’opposition, dans une France craignant une nouvelle
guerre – la plupart des Français n’avaient pas conscience qu’elle avait
déjà commencé en Espagne –, le conduisait à ce louvoiement.
Le gouvernement de Léon Blum avait assuré un accueil convenable aux
premiers réfugiés espagnols, mais celui d’Édouard Daladier menait une
politique plus restrictive, fermant la frontière, ne l’ouvrant, en 1939,
que sous la pression de l’urgence humanitaire, tout en prévoyant le
rapatriement des réfugiés.
La Retirada eut lieu alors que la situation financière du pays se
dégradait. La droite et l’extrême droite, le vent en poupe, au diapason
avec une partie de la population, se plaignaient de « l’invasion »
espagnole. La xénophobie ambiante était relayée et exaspérée par une
presse malveillante, en particulier dans les Pyrénées. L’exode espagnol
avivait les clivages politiques français.
La solidarité n’était pas de mise, sauf chez certains militants de
gauche, des anarchistes et quelques entités caritatives, telle les
quakers. Que ce soit dans la métropole ou au Sahara colonisé, le
gouvernement recevait ces Espagnols antifascistes, contraint et forcé,
sans aucune anticipation, dans des conditions indignes, confinant aux
mauvais traitements.
La préoccupation était sécuritaire, d’où des fouilles strictes des
bagages, des vêtements au passage de la frontière. « Malgré la fatigue
et l’abattement, les scènes conflictuelles ne sont pas rares à la
frontière car la brutalité et le mépris qui leur sont parfois manifestés
ne laissent pas les réfugiés sans réaction 1. » Les préfets ont élaboré
des rapports sur les mentalités et les comportements des réfugiés.
Dès leur arrivée, les combattants devaient remettre leurs armes. «
Déracinés, vaincus, humiliés, les miliciens espagnols n’ont même plus le
droit de chanter leur hymne. En France, le Front populaire a vécu et
c’est sans doute pour éviter une sorte de contagion que l’on censure,
par exemple, L’Internationale 2. »
Ceux qui avaient traversé les Pyrénées étaient d’abord installés dans
des prairies, des centres de « contrôle », de « recueil ». Les familles,
séparées, étaient tenues dans l’ignorance des destinations des uns et
des autres.
Après un « tri », la plupart des enfants, des vieillards et des femmes
étaient conduits à l’intérieur du pays. Les combattants étaient amenés
dans des camps que l’administration nommait « camps de concentration » :
Argelès, Saint-Cyprien, Le Barcarès, Rivesaltes dans les
Pyrénées-Orientales, Ogeu-les-Bains et Gurs dans les
Pyrénées-Atlantiques, Bram et Montolieu dans l’Aube, Agde dans
l’Hérault, Le Vernet, Mazères et Rieucros dans l’Ariège, Septfonds dans
le Tarn-et-Garonne, et d’autres dans les Landes, en Gironde…
Dans certains camps, on rassemblait des Espagnols par lieu d’origine,
catégorie sociale, âge, appartenance politique. Ainsi, dans le camp de
Bram, il y avait surtout des vieillards. Rivesaltes était à dominante
catalane ; beaucoup d’enfants s’y trouvaient aussi, dont certains sans
parents. À Gurs, la langue basque était la plus parlée. Septfonds était
majoritairement communiste et Le Vernet plutôt anarchiste, avec des
membres de la colonne Durruti. Dans tous les camps se côtoyaient des
civils, des soldats de l’armée républicaine, des miliciens divers, et,
dans une moindre mesure, des femmes et des enfants. Là où des
combattants communistes ou anarchistes étaient les plus nombreux, les
conditions étaient plus dures, la surveillance plus stricte ; on
craignait qu’ils soutiennent leurs camarades français dans la diffusion
de leurs idées.
En cet hiver 1939, dans les camps des plages, souvent bordés de
marécages, rien n’était prévu pour s’installer. « Tous sont déjà
infirmes, amputés du cœur par le déracinement. Beaucoup vont s’endormir
là de leur dernier sommeil… Le premier trou qu’ils creusent
instinctivement dans le sable, pour se protéger du froid, ressemble à
une tombe 3. »
Daniel Pinos 4, dont le père cénétiste a franchi la frontière le 9
février 1939, relate les paroles de ce dernier sur ses huit mois passés
dans le camp d’Argelès : « Il n’y avait pas de baraquement. Tous
dormaient à même le sable, creusant pour se protéger des intempéries.
Les premiers jours, il n’y avait pas de nourriture, la mort hantait le
camp. Ils souffraient de la maladie des sables [arenitas]. La dépression
gagnait ces combattants à qui on avait retiré les armes. »
Serge Utgé-Royo 5 a recueilli quelques précisions de son père, qui lui
aussi a séjourné dans ce camp : « Ils s’enterraient dans le sable pour
se protéger de la tramontane. Avec des vêtements, des chaussures, ils
fabriquaient des parapets, des abris d’une vingtaine de centimètres.
Pour dormir, ils s’enfonçaient dans le sable. Au matin, ils en
ressortaient telles des écrevisses ; ils découvraient alors que l’un
d’entre eux, dont la capote n’avait pas été soulevée, était mort. »
Ces descriptions du premier camp sont similaires à celles de la plupart
des camps, dans les premières semaines de leur existence, avant que des
baraquements soient fabriqués, souvent de la main même des Espagnols. «
Ils se sont regroupés par affinité politique, se sont entassés dans des
cabanes en bois et ils ont enterré les morts », explique Daniel Pinos.
La priorité des autorités françaises n’était pas l’aide ou le soutien.
La préoccupation était de maintenir l’ordre : les enceintes, les fils de
fer barbelés ont été rapidement montés.
Pour saisir les conditions dans lesquelles ont vécu ces Espagnols, les
premiers temps, prenons l’exemple du camp de Gurs, prototype de ceux
aménagés, de manière bien rudimentaire, au printemps 1939.
Éloigné des zones urbaines, en bord de route nationale, il était aisé à
ravitailler. Le 2 avril 1939, des combattants républicains, des Basques
et des combattants des brigades internationales s’y installaient. Gurs
était conçu pour 18 500 personnes. Des baraques en bois, 428, mal
isolées, avaient été construites par l’administration départementale des
Ponts et Chaussées le long de l’allée centrale, unique endroit
goudronné. « Le camp s’étend sur 79 hectares, divisés en 13 îlots
séparés les uns des autres par des barbelés. Chaque baraque mesure 24
mètres sur 6 et est prévue pour 60 internés environ 6. » Les
installations ne protégeaient ni du froid, ni de la pluie.
L’insuffisance alimentaire, la surpopulation, le manque d’hygiène – les
équipements sanitaires étaient insuffisants, voire inexistants –
causaient des maladies. Les Espagnols subissaient des conditions de vie
humiliantes. Faute de toilettes, en proie à de terribles coliques, ils
devaient courir jusqu’à la mer. « La promiscuité et l’insistante
puanteur des déjections contribuent à miner le courage et la dignité des
internés 7. » Par la suite, des latrines collectives seront mises à
disposition, sous la garde des spahis.
Serge Utgé-Royo, lors de la visite d’une exposition à Perpignan, a été
bouleversé par une photographie et l’explication que son père lui a
donnée : « Tu vois la bordure noire ? », a-t-il demandé ; et il a
poursuivi : « C’est de la merde. Nous n’avions pas le droit d’aménager
ce qu’il fallait. Nous étions obligés d’aller au bord de l’eau. Nous
faisions nos besoins à la vue de tous, là où nous nous lavions, là où
nous lavions notre linge. Ces défécations allaient et venaient, marquant
une délimitation sur le sable, une ligne noire à l’infini. » Ceux qui
cherchaient à préserver leur intimité risquaient d’être frappés à coup
de crosse ou de sabre, comme le père de Serge Utgé-Royo l’a relaté : «
Un jour que j’avais la diarrhée, j’ai cherché un endroit à l’abri des
regards, éloigné de la plage. J’ai pu creuser et défaire mon pantalon,
mais j’ai entendu un cheval s’approcher au galop. J’ai juste eu le temps
de me rhabiller sans m’essuyer. Quelle humiliation ! Le soldat m’a
donné un coup de sabre en bas du dos qui a été quelque peu amorti par ma
capote militaire. »
Selon Raymond Roig, 14 600 personnes sont mortes durant les six premiers
mois 8, sachant que nombreuses étaient arrivées malades, blessées. Mais
beaucoup ont souffert de dysenteries, de pneumonies. La typhoïde, la
tuberculose et même le paludisme faisaient des ravages. Toutes ces
maladies venaient du manque d’eau potable, de l’insalubrité, de la
surpopulation et de l’absence de protection contre les intempéries. Il
faut aussi mentionner la faiblesse des soins médicaux.
L’absence d’anticipation et de volonté explique l’indigence de la
logistique. Ainsi a-t-il fallu attendre cinq mois pour que des
améliorations soient apportées dans les camps du Roussillon. Au-delà de
la négligence, il y eut le comportement souvent maltraitant des gardiens
et la répression contre ceux qui revendiquaient de meilleures
conditions d’hébergement.
Ainsi, le père d’Aimé Marcellan 9, membre de la CNT, soigné à l’hôpital
de Pau puis transféré à Gurs, a raconté les brimades et les abus de
pouvoir. Par exemple : les gendarmes, gardiens du camp, ne distribuaient
pas le courrier, obligeant les personnes à aller le chercher en
marchant au pas, sous leur regard méprisant. Au camp de Bram, où se
trouvaient les grands-parents d’Aimé, si les Espagnols tentaient de
ramasser du bois pour se chauffer, les tirailleurs sénégalais le leur
confisquaient.
Ceux qui protestaient contre leur condition étaient parqués dans des
enclos barbelés (les « hippodromes »), espaces disciplinaires où les
punitions étaient si terribles qu’elles pouvaient provoquer la mort. Un
odieux chantage obligeait les plus déterminés à courir jusqu’à
épuisement dans la nuit, afin d’obtenir de la nourriture.
Dans une France en proie aux difficultés économiques et aux tensions
politiques exacerbées, les réfugiés espagnols étaient encouragés à
repartir. Domingo Borell, membre de la CNT, raconte : « Nous subissions
sans cesse les pressions des gendarmes français et des représentants de
Franco pour que nous quittions la France et retournions au pays 10. » À
proximité de certains camps de concentration se trouvaient ce que l’on
appelait « les camps de Franco », destinés à accueillir ceux qui
acceptaient d’être rapatriés en Espagne, au risque d’y être emprisonnés
ou tués par le régime franquiste. Pour les attirer, la nourriture y
était de qualité et en bonne quantité ; on y dormait sur des matelas…
Après les accords de Munich, jouant l’apaisement avec le nazisme, et
alors que, le 27 février 1939 11, le gouvernement français reconnaissait
le gouvernement fasciste espagnol, la voix des antifranquistes était
particulièrement mal venue. La discipline régnait dans ces camps
surveillés par des militaires : brimades et punitions étaient
quotidiennes. Et comme l’indique Geneviève Dreyfus-Armand : « Les motifs
de châtiments sont variables, souvent liés à des refus de saluer les
gardiens, à des protestations, à des tentatives d’évasion ou à des
accusations d’activités politiques 12. » Le père de Daniel Pinos
évoquera le « quadrilatère » d’Argelès, où l’on enfermait nus ceux qui
s’étaient révoltés et que l’on empêchait de dormir.
En outre, certains gardiens armés abusaient de leur pouvoir ; et nous
pouvons nous demander si des spahis ne prenaient pas ainsi une revanche
sur des blancs représentant pour eux des colonisateurs.
Là où les combattants étaient les plus nombreux, régnait une discipline
plus sévère, un régime militaire. C’était le cas au Vernet, camp
disciplinaire datant de la Première Guerre mondiale, mais où les
baraquements n’avaient pas été entretenus. Serge Utgé-Royo se souvient
du récit de son père : « Nous étions six, sept dans des tentes
improvisées, montées avec les capotes de quelques-uns. Nous dormions
serrés les uns contre les autres. Pour changer de position dans la nuit,
il fallait prévenir les autres pour qu’ils se retournent aussi et
éviter de se retrouver visage contre visage. » Les Catalans de la 26e
division « Durruti » y étaient majoritaires, soit 9 000 personnes sur
les 10 200 internées. Il y avait aussi des fortes têtes et des évadés
venant d’autres camps. La surveillance y était plus minutieuse. Il y
avait des locaux disciplinaires.
Des républicains, à qui l’on reprochait d’être des activistes
politiques, ont même été détenus dans des prisons militaires comme le
château de Collioure. Celui-ci est devenu « le premier centre
disciplinaire pour les réfugiés considérés comme des « extrémistes
dangereux ». […] Traités comme des criminels par des officiers et des
soldats français, ils ont eu à souffrir de dures conditions d’hygiène,
de faim, de punitions et d’isolement dans des cellules souterraines
humides et insalubres, à peines ventilées 13 ». Ces mauvais traitements
ont été portés sur la place publique. S’ensuivit un procès qui déchaîna
quelques passions. Les 348 prisonniers restants furent déplacés dans des
camps d’Afrique du Nord ou du Vernet.
Peu à peu, dans les camps, les internés s’organisaient. Daniel Pinos
explique comment ils luttaient contre la dépression, la mort. Certains
ont plongé dans des trafics, entre autres de prostituées, avec la
complicité des gardiens. Mais c’est aussi à travers des réalisations,
parmi lesquelles la culture et la création au premier plan, qu’ils ont
fait face : « Ils ont mis sur pied des bibliothèques, fabriqué des
journaux avec du papier pelure. Ils écrivaient des textes, de la poésie,
dessinaient. »
Moins connue et plus dramatique encore est la situation des combattants
embarqués à Alicante pour l’Afrique du Nord. Acheminés dans le sud
algérien et le sud tunisien, les premiers réfugiés y arrivaient en mars.
Les camps de Carnot, d’Orléansville, d’Oran ont été construits. Là
aussi, les autorités étaient débordées par le nombre de réfugiés. Après
avoir refusé leur débarquement, elles finissaient par céder. Ainsi,
durant un mois, près de 2 000 réfugiés de l’African Trader et du
Stanbrook restaient coincés à bord. Une épidémie de typhus leur permit
de quitter leurs embarcations.
Les familles regroupées, les femmes, les enfants et des hommes aux
situations socio-professionnelles supérieures étaient hébergés dans des
conditions correctes. Il en était tout autrement des dits « miliciens »,
dans les camp de Suzzoni, à Boghar, et de Morand, à Boghari, au sud du
département d’Alger : au manque d’hygiène, d’eau, de nourriture, de
médicaments, d’espace, il fallait ajouter la chaleur, les morsures de
serpents… Nombreux sont morts du typhus, de la tuberculose, de la faim
et des mauvais traitements 14.
En Algérie, très rapidement, ces réfugiés seront exploités pour la
construction du Transsaharien. En métropole, ils seront recrutés dans
les fermes et dans les compagnies de travailleurs étrangers quand le
pays, entré en guerre, traversera une pénurie de main-d’œuvre. Des
Espagnols ont rejoint la légion, d’autres la Résistance, l’armée de
Leclerc. Certains seront déportés dans les camps nazis, d’autres, au
risque de leur vie, retourneront en Espagne.
Les internés ont, le plus souvent, peu parlé de leur passage dans les
camps du mépris. Ce sont plutôt leurs enfants qui, voulant connaître,
comprendre ce qu’ils avaient vécu, ont fait émerger une parole. Aimé
Marcellan émet quelques hypothèses sur ce silence : « Ils ont sans doute
voulu nous préserver des malheurs endurés. Mais ce n’est pas
l’essentiel. Certes, la vie dans les camps était dure, mais elle n’avait
rien à voir avec les camps allemands, ni avec ces mêmes camps à partir
de 1940. Les « facilités d’évasion » en sont la preuve (Le Vernet, en
tant que camp disciplinaire, et les camps d’Afrique du Nord sont sans
doute à mettre à part). J’ai l’impression que leur militantisme, dans la
CNT, par exemple, armait les individus pour une résilience qui ne
devait rien aux travaux de Cyrulnik. »
Pour en savoir davantage, divers ouvrages sont disponibles et des
échanges sont aussi envisageables avec les enfants et petits-enfants qui
ont recueilli des témoignages. Ce rapide retour sur les conditions dans
lesquelles les Espagnols antifranquistes ont été « reçus » en France
lors de la Retirada n’est qu’une esquisse d’un sombre tableau.
L’enfermement des indésirables est un trait de la politique française.
Les camps ont servi durant le régime de Vichy à interner des étrangers
antinazis, des Juifs. Depuis, des combattants du FLN y ont été
emprisonnés, et les camps de Rivesaltes 15 se sont transformés en
centres de rétention pour étrangers en attente d’expulsion. Comme le
soulignent les auteurs de l’ouvrage Vous avez la mémoire courte : « La
logique du camp, c’est la mise entre parenthèses de l’être 16. »
Agnès Pavlowsky
1. Geneviève Dreyfus-Armand, L’Exil des républicains espagnols en
France, de la guerre civile à la mort de Franco, Paris, Albin Michel,
1999, p. 52.
2. René Grando, Jacques Queralt, Xavier Febrès, Vous avez la mémoire courte, Perpignan, Éditions du Chiendent, 1981, p. 69.
3. Ibid, p.114-115.
4. Daniel Pinos est militant à la Fédération anarchiste. Il a collaboré à
plusieurs titres de la presse libertaire, entre autres Front
libertaire, Le Monde libertaire, Tierra y Libertad et Cuba Libertaria.
Il a longtemps été membre de l’équipe éditoriale des éditions CNT de la
région parisienne. Il est l’auteur de Ni l’arbre ni la pierre. Des
combats pour la liberté aux déchirements de l’exil : l’odyssée d’une
famille libertaire espagnole, Lyon, Atelier de création libertaire,
2001. Il est membre du Galsic, Groupe d’appui aux libertaires et aux
syndicalistes indépendants de Cuba.
5. Serge Utgé-Royo, auteur compositeur, comédien, écrivain. Il est l’auteur de Noir coquelicot, Paris, Édito Lettres, 2004.
6. D’après « Traces et empreintes, le camp de Gurs »,
http://www.jewishtraces.org/rubriques/?keyRubrique=carte_didentit_du_camp_de_gurs.
7. René Grando et al., op. cit., p. 162.
8. Ibid., p. 128.
9. Militant de la CNT.
10. Véronique Olivarès, Mémoires espagnoles, l’espoir des humbles, Paris, Éditions Tirésias, 2008, p. 115.
11. Le maréchal Pétain est nommé ambassadeur de France auprès du gouvernement franquiste.
12. Geneviève Dreyfus-Armand, op. cit., p. 68.
13. Evelyn Mesquida, La Nueve 24 août 1944. Ces républicains qui ont
libéré Paris, traduit de l’espagnol par Serge Utgé-Royo, Paris, Le
Cherche Midi, 2011, p. 40.
14. Pour en savoir davantage sur les mauvais traitements infligés en
Afrique du Nord, vous pouvez vous reporter à l’ouvrage d’Evelyn
Mesquida, op. cit., au chapitre « Temps de honte et de courage », p.
39-58.
15. Les camps de Rivesaltes ont été fermés en 2007.
16. René Grando et al., op. cit., p. 112.